Ma Vocation : les Droits de l’Homme

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Les origines de mon engagement pour les Droits de l’Homme…

Extraits de mon 5ème livre :
Mon Combat pour les Droits et les Libertés, édité par Mary Bro Fondation Publishing, Royaume-Uni, Juin 2017.


Je considère mon engagement pour les Droits de l’Homme comme une vraie Vocation ; comme une pure Grâce de Dieu ! Car, rien dans mon cursus scolaire et universitaire ne me prédestinait à devenir un Militant acharné et passionné des Droits de l’Homme et des libertés.

LE MIROIR DU PERE :

Je suis né dans une famille qui n’avait rien à voir avec le droit. Et je n’ai pas fait non plus des études de droit à proprement parlé. Cependant, notre quotidien était souvent marqué, jusqu’à l’âge de douze ans, par des scènes faisant de papa un défenseur des Droits de l’Homme ; il n’arrêtait pas de dire, « je connais mes droits ! » Il n’avait pas tort, puisqu’en tant qu’instituteur et bien engagé en politique, l’un des secrétaires de base du parti unique de l’époque, il avait bien mémorisé l’adage juridique qui dit que « nul n’est sensé ignoré la loi ».
Ainsi, à côté de ma mère qui n’avait pas eu la chance d’aller à l’école, mais qui était une femme très battante, réputée dans la ville de Divo, au petit marché de Bada, pour son attiéké aux poissons frits, mon père était considéré comme un grand intellectuel dans son milieu, un homme très cultivé et de conviction, à qui son journal Fraternité-Matin ne manquait jamais au quotidien et qui avait une écriture en or, comme tout bon instituteur de son temps. Il s’était forgé sa réputation d’homme intraitable et de défenseur de ses droits, en réussissant à faire sanctionner un agent de police de la ville, parce que ce dernier s’était permis de brutaliser un de mes tontons, dans le carrefour de notre quartier de Legbreville. Ce policier qui était connu pour son arrogance se disait pourtant intouchable. Cet épisode de mon enfance m’a beaucoup marqué et m’a toujours rendu fier de mon père. Je voulais lui ressembler.

LA FOI EN DIEU :

Plus tard, je comprendrais surtout que le socle des convictions de mon père, ce qui le fondait à n’avoir peur de personne, face à des situations d’injustices ou d’abus de tous ordres, c’était la Foi en Dieu. Avec ma mère qui était membre de la chorale et lui, Catéchiste, mes parents nous ont élevés, mes deux sœurs et moi, dans la tradition religieuse de l’église protestante méthodiste. A telle enseigne que lorsque je me retrouvai loin d’eux à Soubré, chez mon oncle maternel qui était agent de la SATMACI dans le village d’Okrouyo, le premier réflexe que j’eus était de retrouver l’église protestante du village. Malheureusement, il n’y en avait aucune. Mais heureusement pour moi, il existait une chapelle pour les Chrétiens Catholiques ; c’est ainsi que je devins Catholique, parce que mon besoin de Dieu était plus qu’indispensable dans ma vie. Bien que fus un brillant élève, major aux différents examens blancs du CEPE et d’entrée en sixième, j’avais besoin de la présence du Seigneur pour réussir à mon examen et être orienté au lycée scientifique de San-Pedro.
Et c’est à San-Pedro que je reçus mon baptême, en classe de troisième. C’était aussi la condition ou la promesse que je m’étais faite à moi-même pour réussir à mon BEPC. Aussi, toujours parmi les meilleurs élèves du lycée, je fus orienté dans le plus prestigieux des lycées de la Côte d’Ivoire de l’époque, le Lycée Scientifique de Yamoussoukro, dans la belle ville natale de Feu le Président Félix Houphouët-Boigny. C’est dans ce lycée que se révèlera en moi ma vocation de défenseur des Droits de l’Homme. Puisque j’allais y être victime de la pire machination politique dont un adolescent d’à peine dix-sept ans ne pouvait s’imaginer d’être accusée.

L’INJUSTICE QUI ME DETERMINA :

Alors que j’entamais la classe de 1ère D, je me suis retrouvé au centre d’une histoire apriori banale, mais qui sera gravement interprétée, avec une connotation hautement politique et qui me fera subir une sanction très sévère : un Conseil de Discipline décidera de mon renvoi du lycée de Yamoussoukro pour être muté au lycée moderne de Bouaflé. Je crois que c’est de là que part mon engagement actuel à défendre la Vérité et la Justice dans toutes les circonstances de la vie. Militer pour la défense, pour la protection et pour la promotion des Droits de l’Homme en est une conséquence.
En effet, au début du mois de novembre 1989 – la rentrée étant toujours fixée à début octobre – on nous annonça au lycée la visite de plusieurs Chefs d’Etat africains à la résidence du Président Houphouët-Boigny et donc nous devrions être réquisitionnés pour aller les accueillir. Des bus de la société des transports abidjanais (SOTRA) étaient mis à la disposition des lycées scientifique et mixte, les deux lycées partageant les mêmes infrastructures et la même direction administrative, afin de convoyer les élèves tout le long du parcours des illustres personnalités. Pour la plupart d’entre nous, en tout cas pour moi, c’était la première fois que nous allions prendre part à une telle sortie ; c’était un privilège.

Dans le bus, nous étions tous plutôt curieux de découvrir la belle et célèbre ville de Yakro. Parce que nous n’avions pas vraiment d’occasions de la visiter. Les règles d’internat étaient très strictes ; les éducateurs ne badinaient pas avec les élèves qui osaient sortir sans permission pour aller se balader en ville. Il ne se passait pas de jour où on n’en excluait pas, pour trois jours, pour une semaine, pour un mois ou même définitivement.
Cette sortie représentait donc l’une des rares occasions qui nous étaient données d’aller officiellement dans la ville. Le chauffeur de notre bus était un vieux monsieur, à l’allure plutôt consciencieuse. En arrivant vers la résidence présidentielle, on voyait des centaines d’élèves le long de la rue en bordure du lac aux caïmans. Certains élèves de notre bus avaient pu reconnaître de leurs camarades. On pensait donc les rejoindre d’un moment à l’autre. Mais que non. Notre conducteur fonçait encore et encore. Je commençais à m’interroger et même à m’inquiéter parce qu’on sortait de la ville, carrément. En fait, il nous amenait à l’aéroport. En apercevant l’aéroport, la plupart d’entre nous étions plutôt excités au fur et à mesure qu’on approchait de la foule d’élèves et de personnalités réunis autour des avions des Chefs d’Etat. Le dernier visiteur à atterrir était le très célèbre Mobutu Sessésséko, l’ex Président de l’ex-Zaïre.

Dès que notre car se gara que commença notre calvaire. C’est une dame qui nous reconnus comme étant des élèves du lycée scientifique. Elle était éducatrice du premier cycle ; on l’appelait Mme Koffi. S’approchant, elle s’écriait « qu’est-ce que vous faites ici ; qui vous a dit de venir ici ? » On était tous subjugués ; on ne savait pas quoi lui répondre. Et le chauffeur n’était plus là pour lui répondre, il était déjà reparti au lycée chercher d’autres élèves. Alors que nous nous attendions à ce qu’elle arrête enfin de s’alarmer, afin de nous laisser profiter de la cérémonie en applaudissant aussi les Présidents étrangers et surtout notre « Féfé national », le petit nom qu’on donnait au Président Félix Houphouët-Boigny, elle amplifiait au contraire ses plaintes et ses lamentations. C’est ainsi qu’elle nous appris que dans la tradition des Lycées Scientifique et Mixte, seuls les plus petits de la sixième étaient choisis pour les cérémonies de la Présidence. Elle alerta donc ses autres collègues éducateurs, les enseignants présents, et même les censeurs et le proviseur. Notre sort se scellait donc petit à petit.
A un moment donné, la tempête se calma. On pensait que c’était fini. Mais en réalité, nos responsables n’avaient pas voulu perturber la cérémonie. Aussitôt que les cortèges furent partis que dame Koffi revint à nous, plus gravement. Elle nous sermonna copieusement. Sa colère se ressentait sur son visage qui perdait sa beauté de plus en plus. Et elle n’arrêtait pas ; on était pratiquement les derniers dans l’aéroport, avec les gendarmes qui étaient venus comprendre ce qui se passait. Quand elle décida enfin de nous abandonner, elle laissa la consigne au plus gradé des agents de ne pas nous faire monter dans un car, que nous devions marcher jusqu’à la ville. Ce que nous avions commencé à faire, jusqu’à ce qu’un bus inattendu vint à notre rencontre. Il nous ramena au lycée. Mais dans le car du retour, nous nous défoulâmes en chantant des chansons d’ambiance dans lesquelles on insultait particulièrement cette Mme Koffi. Elle faisait justement partie du comité d’accueil spécial qui nous attendait à l’entrée du lycée, pour nous annoncer que nous devrions tous rentrer immédiatement dans nos familles respectives pour revenir le lundi suivant.

Le lundi matin, tout naïvement, chacun des membres de notre mésaventure se rendit dans sa classe. Mais avant la récréation de 9h45, on vit arriver dans notre classe une délégation des membres de l’administration. Ils passaient de classe en classe, dans les deux établissements, pour retrouver tous les élèves du fameux bus. Mais plutôt que d’entendre dire par exemple que ces élèves étaient allés à l’aéroport sans autorisation, même si cela n’était pas du tout vrai, on avait rependu à travers tout le lycée l’information selon laquelle ces enfants de sixième, de cinquième, de quatrième, de troisième et de seconde, avec moi qui étais le seul en classe de première, avions tenté de fomenter un coup d’Etat.
Je n’en revenais pas. J’étais persuadé que c’était une plaisanterie, que ce n’était qu’une rumeur. Si bien que lorsqu’ils présentèrent l’objet de leur tournée dans les classes, j’hésitai au début, mais je finis par me lever, gaillardement, parce qu’au fond, je ne me reprochais rien de si grave. Mais j’étais bien naïf, on ne badinait pas avec les affaires qui pouvaient avoir une incidence sur la vie politique dans le pays d’Houphouët-Boigny, et qui se déroulaient de surcroit à Yamoussoukro.

Mon sort allait donc être vite scellé. J’étais le plus grand de tous les élèves convoqués : dix-huit ans. J’étais du niveau le plus élevé dans le groupe, en première. En plus, on se rendit compte qu’à un moment donné, étant en classe de seconde, j’avais fait partie du bureau du Mouvement des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (le MEECI), ainsi que de la troupe théâtrale du lycée et du bureau de la Jeunesse étudiante catholique (la JEC). Tout semblait donc réuni pour faire de moi le premier responsable de cette mésaventure, bien malgré moi.
On infligea d’abord une punition, à titre conservatoire, à tous les élèves du groupe, sans distinction. On nous distribua immédiatement des machettes, des dabas, des râteaux et des ballais pour la corvée de nettoyage de l’environnement du lycée. C’était cette sanction qui rependit davantage la rumeur dans tous les deux établissements jumelés et même dans la ville. Nous étions présentés comme un groupe d’élèves dangereux : on évoquait partout notre soi-disant projet de fomenter un coup d’Etat. Incroyable, mais c’était vrai ! Et à la fin de la journée, on vint nous annoncer d’autres décisions de l’administration, encore plus graves. Tout le monde était sommé d’exclusion des cours et de l’internat pour trois jours et trois élèves, les plus grands, devaient passer en Conseil de Discipline.

C’était la toute première fois de ma vie d’élève de subir un Conseil de Discipline. Durant tout mon cursus scolaire, j’avais plutôt habitué mes parents et mes tuteurs à recevoir de l’administration des félicitations et des tableaux d’honneurs. J’eus le courage néanmoins d’informer mon tuteur qui était surpris de me voir à la maison plutôt qu’au lycée. Mais je le rassurai quant à mon innocence. Durant ces trois jours d’exclusion, je m’imposer un jeûne sec, sans nourriture et sans eau, pour avoir la force spirituelle et morale d’affronter cette épreuve qui me tombait dessus. Et c’est avec mon Nouveau Testament dans la main droite que je me rendis à la convocation du Conseil de Discipline.
La séance était terrifiante, mais j’étais habité d’une sérénité sans pareille. Le Conseil était présidé par notre Proviseur au nom sénégalais, Monsieur Hassan SARR, qui était assisté par le Penseur blanc, le plus redouté par tous les élèves des Lycées Scientifique et Mixte, un certain Monsieur BEUGNON. Tous les élèves le craignaient pour ses raclées à la volette. J’étais persuadé que Dieu m’aiderait à renverser cette vapeur.
Après nos exposés de mis en cause et un interrogatoire des plus absurdes, ubuesques, qui dura près de cinq heures, tel un tribunal des assises, le verdict tomba immédiatement ; de toutes les façons il était déjà décidé, certainement. En définitive, deux parmi tous furent mutés : l’autre au lycée de Didiévi et moi au Lycée Moderne de Bouaflé ; avec effet immédiat.

Je n’en revenais toujours pas. Je me demandais comment des adultes et des responsables sensés pouvaient-ils oser concocter de telles hérésies et mensonges, et les imputer à de pauvres élèves, et oser même avoir le courage de les divulguer sans vergogne. Je me demandais – et je continue de me demander – comment à cet âge, des hauts responsables d’un lycée aussi prestigieux et d’un régime politique au pouvoir depuis 1960, un régime que tout le monde considérait comme puissant, avec un Président Félix Houphouët-Boigny aussi vénéré que craint, pouvaient-ils se convaincre que j’étais capable, avec de petits écoliers, de faire un coup d’Etat ? Le fait que nous nous étions retrouvés à l’aéroport de Yamoussoukro pour participer avec d’autres élèves des autres établissements à l’accueil des Chefs d’Etat hôtes du Président de la République, même si notre convoi n’y était pas attendu, cela était-il suffisant pour déstabiliser la République ? J’en suis venu à la conclusion que, soit le régime au pouvoir à l’époque, le parti unique du PDCI-RDA de Feu Félix Houphouët-Boigny était à ses dernières heures de règne ; soit je suis habité d’une force divine qui peut faire peur, et cette mésaventure en était un signe.

LA PAROLE DE DIEU DEFINIT MA VIE :

C’est finalement à Bouaflé que je compris qu’en fait, j’avais été aussi victime du contexte sociopolitique qui prévalait en Côte d’Ivoire à cette époque. On était en pleine effervescence de la proclamation du multipartisme qui allait être officialisé le 30 avril 1990 ; dans le deuil de la dissolution du Mouvement des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (MEECI), appendice du PDCI-RDA ; et dans l’angoisse pour les responsables du système scolaire devant la naissance de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI), dont on me soupçonnait sérieusement d’en être l’un des membres. C’était la raison pour laquelle Il fallait m’éloigner de Yamoussoukro pour éviter que je ne « pollue » ce milieu.
Cependant, plutôt que de verser des larmes pour donner du plaisir à ces gens, je bénis plutôt le Seigneur, puisque tout ce qu’il Lui plaît de faire dans ma vie, c’est toujours pour mon propre bien. En pensant me faire du mal, au contraire cette exclusion ou mutation m’ouvrit la voie pour ma destinée. Car la ville de Bouaflé m’a porté bonheur ; et ce, à tous les niveaux de ma vie.
Par exemple, j’allais sortir major de la promotion terminale 91-92, dans tous les lycées de la région et j’allais obtenir mon baccalauréat avec la mention Bien. Mais surtout, ces messieurs et dames qui m’avaient injustement sanctionné, m’avaient ainsi de forger l’esprit et l’âme à la révolte contre l’injustice quelle qu’elle soit et d’où qu’elle vienne. Ils m’ont révélé à moi-même ma vocation de défenseur de la liberté, du militant des Droits de l’Homme que je suis devenu.

La Foi en DIEU est donc ce qui fonde en réalité mon engagement de façon passionnelle pour la défense des Droits de l’Homme. Pourtant, c’est par cette même croyance en Dieu, à travers le Christ Jésus, que je me suis refusé à faire du droit en entrant à l’université, puisque j’avais le choix entre trois filières dans lesquelles mon baccalauréat de série A1 – principalement littéraire et mathématique – obtenu avec brio m’avait permis d’être orienté.
En fait, comme tout jeune chrétien très pratiquant, à l’époque je j’interprétais quasiment mon vécu selon les paroles bibliques, telles que je les lisais dans la Bible. Ainsi, en m’accrochant – aveuglement, je l’avoue aujourd’hui, étant devenu mature dans la Foi – à cette parole de Mathieu, au chapitre 7, le verset 1, je fus bloqué quant à devenir plus tard le magistrat ou l’avocat que je rêvais d’être : « Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés. »
Ce passage est encore plus fort et mieux explicite dans Luc 6, 37 : « Ne jugez point, et vous ne serez point jugés ; ne condamnez point, et vous ne serez point condamnés ; absolvez, et vous serez absous. »

Néanmoins, nourri et forgé dans la Parole de Dieu durant toute mon enfance et surtout dans ma jeunesse scolaire, loin des parents, Dieu a toujours été mon unique et vrai Parent, mon Protecteur devant toutes les situations que peut rencontrer un adolescent chez des tuteurs tantôt gentils, tantôt sévères ; ou à l’internat, où les enfants de riches lui font voir de toutes les couleurs ; ou même au lycée, où ses fournitures scolaires ne sont pas toujours au complet.

J’ai alors trouvé mon refuge dans ce Cantique du roi David, qui est devenu ma force puissante de vie :
« 1. L’Eternel est mon berger : je ne manquerai de rien.
2. Il me fait reposer dans de verts pâturages, Il me dirige près des eaux paisibles.
3. Il restaure mon âme, Il me conduit dans les sentiers de la justice, A cause de son nom.
4. Quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort, Je ne crains aucun mal, car tu es avec moi : Ta houlette et ton bâton me rassurent.
5. Tu dresses devant moi une table, En face de mes adversaires ; Tu oins d’huile ma tête, Et ma coupe déborde.
6. Oui, le bonheur et la grâce m’accompagneront Tous les jours de ma vie, Et j’habiterai dans la maison de l’Eternel Jusqu’à la fin de mes jours. »